La réalité de la guerre aura donc finalement pris le pas sur les considérations économiques. Un temps hésitants et faiblards dans leur réaction face à l’invasion de l’Ukraine, en ne ciblant que quelques oligarques, les pays européens ont donc mis de côté leurs craintes sur l’approvisionnement en gaz russe (qui représente tout de même près de la moitié des importations de gaz en Europe, avec de grosses disparités en fonction des pays) pour organiser un front commun de sanctions. Les 27, avec leurs alliés, se sont ainsi mis d’accord pour exclure certaines banques russes du système SWIFT même si, pour le moment, les contours de l’application de cette sanction restent encore flous. Si certains pays (le Royaume-Uni par exemple) poussent pour une exclusion totale de la Russie du réseau de transactions SWIFT, cela pose le problème du paiement du gaz russe qui arrive encore en Europe et dont, malheureusement, personne ne peut se passer... Parmi les autres sanctions mises en œuvre, figure le gel des avoirs de la Banque Centrale Russe détenues auprès des autres banques, estimés à environ 100 milliards de dollars sur un total de 630 milliards, dans le but d’affaiblir un peu plus le pays en limitant la capacité de la banque centrale à défendre sa monnaie, en forte dévaluation de près de 30% contre le dollar depuis mi-février. Il faut néanmoins noter que, depuis 8 ans et le début des sanctions suite à l’invasion de la Crimée, la Russie a opéré une large « dédollarisation » de son économie en réduisant la détention de bons du trésor américain, en augmentant ses réserves de change et d’or (même s’il faudra bien quelqu’un pour l’acheter : la Chine ?) et que, par ailleurs, l’endettement du pays reste relativement faible et très majoritairement financé en interne. L’agression de l’Ukraine par la Russie a également permis de faire sauter plusieurs tabous en Europe comme le changement de politique étrangère en Allemagne, qui tranche avec sa diplomatie fondée sur le commerce depuis la fin de la seconde guerre mondiale, ou encore le financement par l’Union Européenne d’achat d’armes à destination de l’Ukraine, une première !
Comme souvent, l’Union Européenne se construit dans les crises et cette crise actera sûrement (espérons-le du moins) le début d’une Europe de la défense.
A court terme, il est, selon nous, difficile de voir une désescalade des tensions. Si Vladimir Poutine semble avoir préparé de longue date son intervention armée, il ne s’attendait probablement pas à une telle réponse organisée au niveau mondial et en particulier à l’unité européenne affichée. Difficile dans ces conditions de l’imaginer reculer et sortir par la petite porte. La réponse (géo)politique à cette crise dépend donc essentiellement de jusqu’où le Président russe est prêt à aller et bien malin qui peut répondre à cette question. A moyen terme, l’impact sur l’économie mondiale dépendra de l’ampleur des sanctions et de leur durée. Mais la question d’un point de vue macroéconomique à l’heure actuelle est : « Quid des politiques monétaires des banques centrales ? ». Si, du côté de la BCE, le resserrement monétaire semble déjà mort dans l’œuf, la question est plus délicate pour la Fed. Car s’il est toujours difficile d’imaginer des hausses de taux dans le contexte actuel, le combat contre Poutine sera inflationniste ... Nous restons prudents dans nos allocations notamment dans l’attente du deuxième round de pourparlers entre les délégations russe et ukrainienne.