Se laisser aller à tout ce qui nous attire…

09/08/2022

1 min

 

Dans ce mouvement perpétuel alternant entre appétit et dégoût, on ne laisse pas de se divertir par l'image d'une liberté errante. Les catholiques reconnaîtront l’« Inconstantia concupiscentiae » du sermon de Bossuet ; les littéraires y retrouveront l’esprit de la réponse de Dom Juan à Sganarelle : « (…) j’ai une pente naturelle à me laisser aller à tout ce qui m’attire. »… Les mélomanes, un duo entre Brialy et Gainsbourg dissertant d’un poison violent… D’aucuns y feront un parallèle avec la visite de Nancy Pelosi à Taïwan, fait d’armes personnel qui ne pouvait pas mieux tomber pour Xi Jinping, à l’approche du XXème Congrès du Parti communiste chinois, pour détourner l’attention des difficultés économiques rencontrées par le pays, mais réelle action déraisonnable. Autre illustration de ce manque de tempérance : la dépendance européenne à l’énergie russe, résumée par Margrethe Vestager (Commissaire européenne à la Concurrence), dans une interview reprise fin mai dans Les Echos, comme une marque de « cupidité (…) que nous payons aujourd’hui ».

Sur les marchés, la lutte entre l’avidité et la raison, l’exposition maintenue voire renforcée et la prudence raisonnable nous rappelle celle entre concupiscence et vertu à bien des égards. Soutenu par des résultats semestriels supérieurs aux attentes des deux côtés de l’Atlantique, le mois de juillet a été bénéfique sur les marchés actions et la première semaine du mois d’août a été globalement positive. Les actions, notamment les valeurs des segments Growth et Quality, ont particulièrement été portées par la forte baisse des taux réels depuis la mi-juin (avec des rendements nominaux tirés vers le bas du fait de l'affaiblissement des perspectives de croissance et une hausse des attentes en matière d'inflation). Les marchés ont également accueilli favorablement la baisse des cours du pétrole (passant de 120 USD début juin à environ 90 USD début août). Ce rebond de bear market ne doit cependant pas nous faire oublier que la vigueur des chiffres de l’emploi aux Etats-Unis, publiés vendredi dernier, risque fortement de mettre une pression supplémentaire sur la FED, d’autant plus que les données sur la croissance américaine (ISM services de juillet sorti largement au-dessus des attentes à 56,7 contre 53,5 attendu et 55,3 en juin) lui laissent encore de la place pour déployer sa politique hawkish et éloignent le scénario d’un « pivot dovish » à court terme. En effet, le rapport NFP (Non-Farm Payrolls) montre une forte accélération des créations d'emplois en juillet (528k emplois salariés non agricoles créés ; cf. le graphique de la semaine) avec un recul du taux de chômage à 3,5% (niveau d’avant la Covid-19). Ces chiffres apaisant les craintes de récession et accentuant celles sur l’inflation ont eu un impact sur les prévisions par le marché en matière de remontée des taux en septembre. Le marché anticipe désormais un relèvement des taux directeurs de 75 bps alors qu’il anticipait 50 bps début août. Avant cette publication sur l’emploi américain, des membres de la FED avaient eu l’occasion d’insister, la semaine passée, sur la nécessité de poursuivre le resserrement monétaire, ce qui avait déjà fait rebondir les taux américains. A titre d’exemple, la Présidente de la FED de San Francisco, Mary Daly, a rappelé que la lutte contre l’inflation est loin d’être terminée. Au Royaume-Uni, la Banque d’Angleterre semble l’avoir clairement compris avec une hausse, jeudi, de son taux directeur de 50 bps.

La volatilité sur les marchés obligataires illustre l’incertitude des investisseurs face à la thématique de la hausse des taux d’intérêt. Or, un rebond du marché actions ne sera durable qu’une fois que cette incertitude sera passée. Aussi, si le symposium de Jackson Hole, qui se tiendra du 25 au 27 août, sera éclairant, il conviendra d’attendre le FOMC des 20 et 21 septembre pour confirmer l’attitude, normalement plus ferme encore, attendue de la FED dans sa lutte contre l’inflation.

A très court terme, si nous ne voyons pas de catalyseur baissier, il nous semble donc bien trop tôt pour s’emballer. Cette semaine, il conviendra de surveiller, mercredi, les chiffres mensuels des prix à la consommation (CPI) qui pourraient, en cas de hausse marquée de l’inflation, signifier la fin de l’euphorie estivale sur les marchés. Selon le consensus Bloomberg, un léger recul de l'inflation à 8,7% en juillet (contre 9,1% en juin) serait à attendre, avec une nouvelle accélération de l'indice « core CPI » (mesure de base de l’indice, qui exclut les prix volatils des aliments et de l’énergie).

 

 

 

Thomas GIUDICI

Co-responsable de la gestion obligataire, Auris Gestion, Paris

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