Il est où, hein, le Youki ?

20/12/2022

1 min

Les fins mélomanes auront reconnu le clin d’œil à la chanson humoristique de Richard Gotainer. Dans ces quelques lignes, nous ne traiterons pas de l’attachement, parfois excessif, de certaines personnes à leur compagnon animalier mais de celui de certains gérants à la croyance, excessive, dans le fameux « pivot dovish » de la FED dont nous traitions d’ailleurs la semaine dernière pour rappeler qu’ « une chose est sûre, le degré actuel de cette inflexion [celle dans la politique monétaire de la FED] ne suffit pas encore pour parler de véritable pivot dovish ».

La FED mais aussi la BCE et la Banque d’Angleterre ont clairement rappelé les investisseurs à la réalité lors de leur réunion de politique monétaire tenues la semaine passée : si le rythme et l’ampleur des hausses de taux directeurs seront, comme prévu, moindres (hausse de 50 bps pour les trois banques centrales lors de leur dernière réunion au lieu des 75 bps précédents), la lutte contre l’inflation est loin d’être gagnée et les taux directeurs continueront à être remontés avec certainement un maintien à un niveau élevé pendant un temps plus long qu’acheté par le marché. Il n’en fallait pas plus pour ressusciter le spectre de l’erreur de politique monétaire, à savoir le fait d’aller beaucoup trop loin dans la politique hawkish au risque de provoquer un atterrissage plus douloureux qu’annoncé de l’économie. Les marchés actions américains ont corrigé avec un repli de -2,1% sur la semaine pour le S&P 500. Outre-Atlantique, l’Euro Stoxx 50 a connu un repli de -3,5%. Si le 10 ans US n’a pas surréagi, avec même une légère inflexion sur la semaine du fait de l’existence d’une feuille de route plus claire sur les taux aux Etats-Unis (remontée de 75 bps des Fed Funds pour atteindre 5,50% à la fin 2023) que sur le Vieux Continent, il n’en va pas de même du Bund qui est repassé au-dessus des 2% (+22 bps sur la semaine pour finir à 2,15% vendredi).

Le message des banques centrales de part et d’autre de l’Atlantique est limpide en cette fin d’année. Il consiste à dire aux marchés financiers : « ne soyez pas trop optimistes et ne considérez pas que notre politique monétaire est essentiellement guidée par l’indice des prix à la consommation ». Autrement dit, ce sont certainement les indicateurs sur l’emploi qui vont davantage guider encore les banquiers centraux afin de mesurer la latitude dans leur action de resserrement monétaire. En Europe, au-delà du sujet de la remontée des taux, la question de la réduction du bilan de la BCE (diminution progressive des réinvestissements à compter de mars 2023) est très sensible car son impact notamment sur la volatilité de la dette souveraine des pays dits périphériques comme l’Italie mérite attention (le spread Italie-Allemagne a progressé de +24 bps sur la semaine).

Ainsi, entre l’intransigeance affichée de Jérôme Powell rappelant l’impératif d’un recul de l’inflation sous l’objectif de moyen terme de 2% (ton restrictif confirmé par les prévisions des taux directeurs par les membres de la Fed, à savoir les « dots » ; cf. le graphique de la semaine) et la détermination affichée par Christine Lagarde (rappelant que « par rapport à la FED, nous avons plus de chemin à parcourir »), le ton est donné. Comment, cependant, ne pas se poser la question du risque d’erreur de politique monétaire ? En effet, Christine Lagarde a avancé que « la récession serait courte et modérée » (le rebond des indices préliminaires PMI de décembre en zone euro semble, certes, confirmer cette tendance confortée par une rechute des prix de l’énergie et les mesures budgétaires de soutien ; il en va de même de l’amélioration du climat des affaires en Allemagne selon l’indice IFO sorti ce jour pour le mois de décembre : 88,6 pour le mois en cours, contre 86,4 en novembre et 87,4 pour les anticipations). Or, les tours de vis répétés des banquiers centraux risquent bien de créer une récession plus forte que souhaité et il est permis de douter de leur capacité d’anticipation. Souvenons-nous de la dialectique de Madame Lagarde avec une inflation temporaire, qui dure, puis que l’on annonce comment venant de nulle part. Comment, par ailleurs, croire les yeux fermés au scénario de soft landing ressortant des projections économiques actualisées de la FED lors du dernier FOMC (croissance du PIB réel certes révisée en baisse mais avec un rythme d’activité inchangé de 0,5% ; inflation en voie d’être jugulée avec un indice PCE anticipé à 3,1% fin 2023).

Dans notre dernier rendez-vous du lundi, nous rappelions les trois « petits pivots » qui avaient été achetés par le marché durant le récent bear market rallye (« pivot dovish » de la FED, bien trop anticipé par le marché selon nous, « pivot de Xi Jinping » avec la fin de la politique du zéro-Covid, qui nous semble crédible, même si l’augmentation des contaminations dans les semaines à venir risque de ralentir la reprise de l’activité, et « pivot sur le front russo-ukrainien » avec les difficultés majeures rencontrées par l’armée russe notamment en matière de stock de missiles de précision).

Or, seul le « pivot de Xi Jinping » nous semble relever du constat et non pas de la croyance excessive. En effet, le pivot dovish est loin d’être réel à ce stade et le pivot russo-ukrainien uniquement en germe. Si la raison devrait conduire la Russie à œuvrer vers des négociations car, comme rappelé par Eliot Cohen, du think tank Center for Strategic and International Studies, « ils sont à court de tout », Vladimir Poutine s’obstine à martyriser le peuple ukrainien en détruisant ses infrastructures énergétiques. Dans ce contexte, nous avons décidé d’avoir un biais plus prudent dans nos allocations pour cette fin d’année, après avoir bien saisi tactiquement le bear market rallye initié mi-octobre.

                                   

 

 

 

                                                                 

 

Thomas GIUDICI

Co-responsable de la gestion obligataire, Auris Gestion, Paris

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